dimanche 19 juin 2011

PULSION SCOPIQUE ET ORGANISATION SPECULAIRE A L’ADOLESCENCE


 
L’adolescence se caractérise par l’irruption pubertaire qui peut prendre valeur traumatique en désorganisant l’image du corps, qui s’est constituée à l’époque du stade du miroir (cf. page 2 Adolescence et stade du miroir). Il y a chez l’adolescent, nécessité narcissique de réintégration psychique d’une image du corps qui fasse consistance sur le plan symbolique et imaginaire, et qui en même temps prenne des distances et s’autonomise par rapport à l’imaginaire parentale.

La résurgence pulsionnelle qui attaque l’adolescent dans ses idéaux de l’enfance, l’oblige à trouver de nouvelles limitations corporelles et psychiques (Nouveaux fantasmes, nouveaux scénarïis imaginaires, nouveaux repères identitaires, nouveaux idéaux), cela relève d’un travail d’imaginarisation du corps, et d’inscription symbolique du désir dans relation à l’Autre définitivement sexué.

Ainsi nous voyons certaines adolescentes s’habiller de façon sexy, provocante, comme pour attirer le regard de l’autre et son désir, comme si elle se faisait objet fétiche, vêtues d’une parure phallique. D’autres se dissimulent sous des vêtements trop longs qui cachent leurs formes, elles voilent leur regard sous des fards fort appuyés ou à l’aide de franges couvrant leurs yeux. Les garçons ne sont pas en reste en mettant en avant leur torse bien sculpté et leurs biceps gonflés comme parure virile.

Qu’il se voile ou se dévoile, l’adolescent se constitue au travers de l’Autre par le regard.
Il se donne à voir et se cache, se fait objet désirable dans la présence et l’évanescence, se joue du regard comme trace du désir.

Freud a bâti sa théorie des pulsions à partir d’une question scopique originaire et ce dès ses : 
 « 3essais » .Cette question scopique est décrite comme centrale à la puberté dans le 3ème essai :  « Les métamorphoses de la puberté », Il y souligne notamment la fonction de l’organe œil comme zone érogène à la puberté.
Il est bon de rappeler que les cas d’hystérie, in : « Etudes sur l’hystérie » 1895, sont des adolescentes qui pour la plupart souffrent de troubles visuels
L’adolescence est une période d’incertitude narcissique, où l’image de soi dans l’autre se teinte vite d’inquiétude, quand le regard devient celui de l’autre.
Face au désir de l’Autre, l’adolescent ne correspond plus à l’attente idéale supposée, dans la vision constituée par cette réciprocité s’insinue le regard qui le fait déchoir comme "objet a".
L’objet a été conceptualisé par Lacan comme l’objet pulsionnel, objet perdu, cause du désir, pris et cherché sur l’Autre. Il prend toute sa dimension de perte pour l’adolescent, qui selon JJ Rassial in :«L’adolescent et le psychanalyste» Payot 1990, rencontre la panne de l’Autre, par: le pas tout, l’impossible du rapport sexuel entre les hommes et les femmes, le manque…
Pour Rassial il est pour l’adolescent de toute première urgence de constituer son fantasme pour pallier ce manque fondamental.
En cette période pulsionnelle ou la pulsion scopique est fortement activée, le regard de l’autre le laisse dans le vide et révéle ainsi la vacuité du désir. C’est ça que la prestance spéculaire comme enflure narcissique tente de colmater: ce vide insupportable du désir perçu dans le regard de l’autre. L' Insupportable du regard et du désir de l’autre qui vient signifier son exclusion comme sujet (S).

Le regard si prégnant à l’adolescence, effet de désir et de vacuité, met à mal l’image spéculaire et la reconnaissance que cherche l’adolescent dans ses modèles. C’est la dépersonnalisation qui le menace au détour de ces jeux de miroir et de regard, s’il ne trouve pas de certitude dans ses repères spéculaires. Sous le regard d’autrui, l’adolescent peut défaillir, se sentir déchet, transpercé; les limites du corps imaginaire peuvent s’effacer.

Que ce soit par les tatouages, les percings, le vestimentaire, l’adolescent a besoin de rustines et d’écrans protecteurs pour faire bord au désir qui se manifeste par la force de la pulsion scopique. Sans écrans ni images, l’adolescent court le risque de se retrouver sous l’emprise du regard d’autrui qui le ravit. Face au ravissement, pris dans une confusion narcissique et identitaire, il n’aura en sa possession que l’agir et le passage à l’acte pour sortir de l’angoisse de dépersonnalisation et de l’effondrement.

Adolescence et stade du miroir :Henri Wallon a été le premier à relever l’importance du miroir dans la construction psychologique de l’enfant : «Les origines du caractère chez l’enfant». Pour lui l’enfant se sert de l’image extériorisée du miroir afin d’unifier son corps, ce processus se déroule lors du stade émotionnel entre 6 à 12 mois. Lacan a réutilisé en 1937 le terme de stade du miroir :  « Le stade du miroir. Théorie d’un moment structurant et génétique de la constitution de la réalité, conçu en relation avec l’expérience et la doctrine psychanalytique », Communication au 14e Congrès de Marienbad.  Il l’a repris une première fois dans son articleparu en 1938 :«Le complexe, facteur concret de la psychologie familiale», dans l’Encyclopédie Française, puis au XVIe Congrès international de psychanalyse à Zurich en 1949: «Le stade du miroir comme formateur du Je qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique»
Le stade du miroir est le moment durant lequel l’enfant anticipe la maîtrise de son unité corporelle par une identification à l’image du semblable et par la perception de son image dans un miroir.
Lacan va l’élaborer au travers plusieurs schémas au cours de son enseignement : Le schéma L, le schéma optique (in, séminaire IV , la relation d’objet, les Ecrits) avec l’illusion du bouquet renversé de Bouasse ( in, les Ecrits techniques de Freud)
La référence à ce stade est éclairante quand à la restructuration narcissique à l’adolescence car elle fait intervenir les notions de: relation spéculaire au semblable (identification imaginaire, ligne a’-a du schéma L), relation au grand Autre du symbolique (position du père en place de phallus symbolique, de la différence de génération, différence des sexes), à l’objet a (trou, cause du désir, reste indicible, réel).
Le regard a son importance à ce stade, puisque c’est lui qui à la fois conduit le sujet vers ses identifications imaginaires et symboliques. Mais il a aussi son importance en tant que reste de la pulsion scopique, à cette place il introduit le sujet à l’objet du désir.
La fonction du miroir est donc sollicitée chaque fois que l’autre nous est nécessaire pour avoir accès à quelque chose de nous même et qui nous est inaccessible.
La fonction miroir sous-tend toute l’instauration des rôles et statuts sociaux. C’est le regard d’autrui qui nous confère notre identité à l’origine, ainsi que le plaisir de voir et d’être vu.
A l’adolescence , à l’instar de la période de la petite enfance, le sujet va s’identifier par un mécanisme de captation imaginaire du double. La relation à ce niveau s’établit grâce à un élément média, qu’il s’agisse de l’image spéculaire (le modèle, le petit autre) ou du symbole (langage, places et rôles) ou de l’idéal (Autre comme idéal du moi).

Le moi de l’adolescent mis à mal dans ses idéaux et ses assises narcissiques par la pulsion, a besoin de se retrouver une altérité imaginaire pour se consolider. Cet autre comme double narcissique et imaginaire, n’en est pas moins inquiétant car il peut se dérober à son identification, en introduisant l’objet du désir et la castration (la mère qui désire le père, un autre en position phallique…), le renvoyant à son manque d’objet et de phallus (a, -Y).

Toute relation imaginaire implique donc nécessairement une rivalité agressive, une compétition, une concurrence jalouse par l’effet de l’asymétrie causé par le désir (ST Augustin , les Confessions au livre i, chapitre vii sous l’intitulé : où est l’innocence de l’enfant au berceau?).

Chez l’adolescent, ce reste, l’objet cause, indicible, produit par l’objet de la pulsion scopique le confronte à l’objet regard. Regard par lequel il doit passer pour se construire, qui le fait désirer en se faisant phallus imaginaire de l’autre ou en cherchant dans l’autre la brillance phallique comme idéal.
Ainsi c’est sa place de sujet sexué qui se joue à ce niveau, c’est aussi sa place "d’objet a" déchet du désir dans la rencontre avec l’Autre comme désirant. Cela n’est pas sans effet dépressif et dénarcissisant.

La consistance imaginaire par le voile :

Ce qui est aimé dans l’objet d’amour dit Lacan, est quelque chose qui est au-delà. Ce quelque chose ce n’est rien sans doute, mais il a la propriété d’être là symboliquement, c’est justement parce qu’il est symbole qu’il doit être ce rien. Un rien que le symbole voile.
C’est ce voile  qui rend possible toute liaison imaginaire et soutient la place du désir et du fantasme sur fond de cet au-delà inaccessible que symbolise le phallus comme manquant.
L’analyse du fétichisme permet à Lacan de repérer en quoi tout objet vestimentaire peut venir occuper la fonction d’écran phallique, de capture de cet au-delà de l’objet, soit de figurer la place vide constitutive à cet au-delà qu’est le phallus.

L’adolescent en prise avec le renforcement spéculaire de son moi, utilise la vêture, l’enluminure corporelle pour se soutenir imaginairement dans le regard de l’Autre, il se fait phallus imaginaire pour l’ Autre.
Qu’il soit conformiste, provocant ou dissimulateur, le vêtement sera le voilement utilisé par l’adolescent pour faire écran à ce rien du phallus qui est l’inaccessible, au-delà.
La mode si prisée par l’adolescent interroge cette prise de l’au-delà, en se jouant des limites. Il privilégiera un vêtement mélangeant les sexes et les générations, l’enfant et l’adulte, le garçon et la fille, il réunira les contraires, gommera les différences.

L’adolescence c’est donc le moment où le jeune sujet doit inventer son voile, où il doit se décoller de ses voiles infantiles, ceux donnés par ses parents, pour inventer les siens. C‘est une opération fondamentale à cet âge dans laquelle se dialectise la question du désir par le paraître (par être) . C’est un moment fort où se pose pour le sujet la question de son désir et celui de l’Autre: Que me veut-il?  Qui suis-je pour l’Autre dans ce que je donne à voir?,  suis-je  homme ou femme? Pourquoi me regarde-t-il? Pourquoi je ne cesse de le regarder?

Ps: La scarification chez l’adolescent est aussi un voile qui vient par le marquage de la peau en surface, symboliser une souffrance intérieure, et tenter de faire bord et écran spéculaire à la jouissance de la pulsion de mort.

Exposé de Dominique CUNY  27/05/10


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire